Quelques conseils pour gérer les conflits au travail

Il m’arrive fréquemment, à l’occasion d’interventions en entreprise, de découvrir des situations conflictuelles (1). On me demande parfois d’aider à les résoudre et j’ai constaté la difficulté de cette tâche lorsque les conflits durent depuis plusieurs mois, voire plusieurs années et lorsqu’une méfiance profonde s’est installée entre les acteurs concernés. L’existence de ces situations indique que ni ces acteurs, ni leur encadrement, ni les personnes ressources théoriquement mobilisables (RH, médecin du travail, assistante sociale, …) n’ont réussi à leur trouver une solution.

Sans prétendre pouvoir résoudre tous les conflits au travail, il y a toutefois quelques mesures qui peuvent grandement faciliter leur gestion. Je les partage ici après m’être aperçu que beaucoup d’acteurs en entreprise ne les connaissaient pas. Mais avant de les passer en revue, il convient de préciser la notion de conflit au travail.

Conflit au travail : définition

Un conflit interpersonnel peut être défini, de façon simple, comme un désaccord entre au moins deux personnes qui provoque des émotions négatives et qui dure.

Si l’on veut être plus précis, la définition proposée par Jon Hartwick et Henri Barki (2) mérite d’être retenue. Pour eux, un conflit interpersonnel est un « un processus dynamique qui se produit entre des parties interdépendantes lorsqu’elles éprouvent des réactions émotionnelles négatives à la perception de désaccords et d’interférences dans l’atteinte de leurs buts ». L’aspect dynamique renvoie à l’idée qu’un conflit a une histoire et connait plusieurs phases d’escalade. L’interdépendance est une dimension clé car sans elle, les divergences existantes entre des personnes n’ont que peu d’impact sur leur travail et ne les affectent généralement pas. La dimension émotionnelle est fondamentale pour distinguer le conflit d’un simple désaccord qui ne provoquerait aucune émotion négative. Les notions de désaccord et d’interférence soulignent qu’existent entre les acteurs en conflit des buts antagonistes, des visions ou des valeurs difficilement réconciliables ou encore des intérêts mutuellement exclusifs.

On distingue classiquement 3 types de conflit (3) :

  • Les conflits de processus: ils prennent leur source dans un désaccord sur la répartition des responsabilités et des ressources entre les membres d’une équipe ;
  • Les conflits de tâche: ils traduisent l’existence de divergences quant aux objectifs à atteindre, aux contraintes à prendre en compte, aux règles et outils à appliquer ou aux critères pour juger de la qualité du travail ;
  • Les conflits relationnels: découlant souvent des deux précédents, les conflits relationnels traduisent l’existence d’incompatibilités entre les personnes.

Lorsqu’un conflit se traduit par l’expression de critiques à l’égard de l’autre, ou est ressenti comme tel, l’autre se sent agressé. Il a l’impression qu’on remet en cause ses capacités d’analyse et de jugement, parfois même ses valeurs ou ses aspirations au travail. Bref, il se sent agressé dans ce qu’il est. D’où des réactions typiques du type fuite – l’un évite l’autre par tous les moyens – ou combat – l’un répond à l’autre en l’agressant à son tour par des critiques sur ses manières de penser et d’agir. Un cercle vicieux s’enclenche alors et, si rien de l’arrête, le conflit dégénère, s’amplifie, s’enkyste et devient de plus en plus difficile à résoudre.

Quelques conseils pour prévenir et résoudre les conflits au travail

La règle générale pour éviter qu’un conflit ne s’enkyste est d’intervenir au plus tôt. Cela signifie qu’il faudrait intervenir idéalement en amont, pour prévenir l’apparition d’un conflit, ou alors dès qu’il apparaît. Ce type d’intervention revient notamment au management de proximité, mais il concerne tout autant les membres d’une équipe qui seraient témoins d’un désaccord qui se répète entre certains de leurs collègues. Dans la suite, je me concentrerai toutefois sur le rôle du management.

Prévenir les conflits en renforçant la cohésion d’équipe

Le renforcement de la cohésion d’équipe est essentiel pour prévenir les conflits. Il exige de permettre à chacun de connaitre les autres et d’assurer entre tous un partage des valeurs, des objectifs, des règles, des compétences et des critères de qualité liés au travail. Plusieurs dispositifs sont mobilisables dans cet objectif : la formation, l’intégration de chaque nouvel arrivant dans l’équipe et au poste de travail, le suivi individualisé, les réunions d’équipe, les moments de convivialité.

Adopter un management consultatif ou participatif

Un bon moyen pour un manager de détecter des divergences au sein de son équipe avant qu’elles ne dégénèrent en conflit consiste à consulter ses collaborateurs régulièrement avant de prendre une décision ou, mieux, les faire participer au processus de décision. Ces types de management ont d’ailleurs d’autres avantages comme celui de favoriser l’adhésion des collaborateurs et leur implication au travail. Toutefois, ils ne s’improvisent pas car, sans un minimum de précautions, ils peuvent rencontrer des obstacles. Par exemple, ils supposent de s’assurer que les membres de l’équipe connaissent tous les tenants et les aboutissants avant de donner un avis sur une question posée ; ils supposent aussi de savoir gérer des avis différents au sein d’une équipe et, parfois, de disposer de plus de temps pour arriver à une décision que si le manager avait dû la prendre seul.

Instaurer des moments de débat sur le travail

Au-delà des moments de prise de décision, il est important de permettre aux membres d’une équipe de débattre à intervalles réguliers sur leur travail (4) et sur la qualité de leur travail (5). Cela n’est pas évident pour tout manager. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à se former à l’animation d’un débat (voir par exemple cette formation). A noter que les divergences ne s’expriment pas toujours violemment au cours d’un débat. L’encadrement doit donc être attentif pour les repérer, alors qu’elles sont parfois sournoises ou à l’état de « signaux faibles » (par exemple, quelqu’un qui ne réagit jamais aux propositions d’un autre).

En cas de conflit naissant, provoquer un échange

Lorsqu’une divergence marquée entre les membres d’une équipe est constatée, l’encadrement doit provoquer un échange entre eux. Cet échange doit être organisé uniquement avec les personnes concernées si leur désaccord est strictement interpersonnel, ou élargi à l’équipe si le sujet concerne tout le monde.

L’encadrement doit prendre un rôle d’animateur et être le garant de règles devant assurer un échange respectueux, basé sur une écoute réciproque. Dans ce rôle, le manager doit veiller à garder une posture neutre et objective. Il y a deux situations où ces conditions peuvent être difficiles à satisfaire et où le manager a tout intérêt à se faire aider, voire laisser sa place d’animateur à un collaborateur, un pair, un appui RH ou un appui externe :

  1. Lorsqu’il a des affinités ou une vision très positive pour l’une des parties et pas pour l’autre. Son objectivité risque alors d’être mise à mal, ce qui menacerait le processus de résolution du conflit.
  2. Lorsqu’il apparait que les personnes en conflit refusent de s’exprimer clairement sur leurs désaccords. Ce cas peut signaler un manque de confiance de ces personnes envers leur manager.

Dans tous les cas, l’échange doit conduire les 2 parties à exposer les faits marquants à l’origine de leur désaccord et à s’expliquer si l’une d’elles est mise en cause par l’autre.

Aller sur le terrain pour constater et mieux comprendre les sources du conflit

Je me suis aperçu qu’il était souvent utile, pour aider à préciser ces faits et mieux en comprendre l’origine, d’aller sur le terrain avec les personnes concernées. En observant l’activité, il est possible de constater et de comprendre comment certaines manières de penser ou de faire différentes au sein d’une équipe peuvent créer des difficultés. L’échange et la visite terrain doivent aussi permettre d’identifier les conséquences réelles des divergences identifiées. Etonnamment, on s’aperçoit parfois que les divergences dont font état les personnes en conflit certes les agacent, mais n’ont pas tant d’impact que ça sur leurs activités. Je me rappelle d’une situation dans un entrepôt logistique où une personne reprochait à sa collègue de faire de nombreuses erreurs qu’il lui fallait récupérer pour éviter que l’activité n’en pâtisse. L’observation a pourtant révélé que si la personne faisait bien de temps en temps une erreur, celle-ci n’avait le plus souvent aucune conséquence.

Amener chaque partie à exprimer ses besoins et attentes

Les faits qui marquent une personne traduisent généralement des besoins ou des attentes qui sont menacés par les agissements de l’autre. L’un des facteurs clé de la résolution d’un conflit réside dans la capacité de chaque personne impliquée à en prendre conscience et à les verbaliser en utilisant la 1e personne. Ainsi, il faut mieux dire « je considère comme très important que nos usagers disposent d’un service qui leur apporte toute satisfaction et que nous fassions tout notre possible pour cela  » plutôt que « quand tu fais ceci ou cela, tu leur offres un service non abouti qui ne peut générer que de l’insatisfaction ».

Orienter l’échange vers la recherche de solutions

L’échange doit ensuite être orienté vers la recherche de solutions. Cela revient à chercher comment satisfaire les besoins et attentes exprimés par chaque partie. La réussite de cette démarche suppose une capacité de remise en question qui conduit, normalement, chaque partie à proposer des adaptations dans ses manières de penser ou de faire. Cela peut aussi passer par des solutions de compromis (par exemple, l’un peut accepter d’en faire un peu plus et l’autre d’en attendre un peu moins).

Si aucun compromis n’est trouvé ou accepté, il ne faut pas s’interdire de repenser le cadre de travail. L’encadrement peut pour cela poser la question : comment créer un cadre de travail qui rende possible la juxtaposition des deux manières de penser ou de faire aujourd’hui en conflit ? Repenser le cadre peut alors conduire les acteurs à redéfinir certaines finalités poursuivies dans leur activité, certains de ses objectifs, son organisation, la répartition des tâches, les moyens, les règles de fonctionnement, etc.

Bien sûr, cela suppose que le management dispose de marges de manœuvre pour pouvoir redéfinir, au moins en partie, ce cadre de travail. La résolution de conflits interpersonnels peut ainsi dépendre du cadre organisationnel.

Réduire l’interdépendance entre les parties en conflit

Si, après avoir appliqué toutes ces mesures, la situation ne s’améliore toujours pas, voire s’envenime, l’objectif doit être d’éviter que la situation plombe l’ambiance et les relations au sein de toute une équipe. Il faut alors, a minima, chercher une solution conduisant à réduire au strict minimum l’interdépendance et les interactions entre les personnes en conflit. Parfois, cela peut conduire à trouver un poste dans un autre service pour au moins l’une de ces personnes.

En conclusion

En lisant l’ensemble des conseils proposés ici, le lecteur prendra conscience qu’il faut appliquer un nombre conséquent de mesures pour réussir à prévenir et gérer des conflits. Cela traduit le fait que savoir prévenir et gérer des conflits constitue une compétence en soi. Si ses fondamentaux peuvent s’apprendre en formation, cette compétence exige de se développer par la pratique, en acceptant de faire des erreurs et même, parfois, de ne pas y arriver.

Bibliographie

  1. Par exemple, nous avons récemment rapporté, avec Pierre Pisani, plusieurs conflits entre dirigeants et managers constatés lors d’une intervention dans le secteur médico-social : Karsenty L. & Pisani P. (2022) Quand le malaise des managers affecte la santé de leurs collaborateurs : retours sur une intervention dans le secteur médico-social. 56ème congrès de la SELF (Société d’Ergonomie de Langue Française), Genève.
  2. Barki, H., & Hartwick, J. (2004). Conceptualising the Construct of Interpersonal Conflict. International Journal of Conflict Management, 15, 216-244.
  3. Jehn K.A., Weingart L.R. (2009), Manage Intra-Team Conflict Through Collaboration, in Locke E.A. (Ed.), Handbook of Principles of Organizational Behavior: Indispensable Knowledge for Evidence-Based Management, 2nd Edition, Chichester, UK, Wiley, p. 327-346
  4. Detchessahar, M. (2013). Faire face aux risques psycho-sociaux : quelques éléments d’un management par la discussion. Négociations, 19(1), 57-80.
  5. Clot, Y. (2010). Le travail à coeur. Paris : La découverte.

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