La responsabilisation et l’autonomie n’intéressent pas tous les salariés : comment l’expliquer ? Quelles implications ?

En s’appuyant sur l’une des théories les plus influentes en psychologie du travail, la théorie de l’autodétermination [1], on serait tenté de penser que tous les salariés ont besoin d’autonomie dans leur travail. Cette théorie avance en effet que toutes les personnes aspirent à faire des choix en accord avec leurs valeurs personnelles, à choisir librement leurs actions parce qu’elles ont du sens pour elles. Le besoin d’autonomie serait un besoin essentiel des êtres humains, quel que soit leur contexte et leur culture [2].

Mais si c’est le cas, comment comprendre que certains salariés refusent de prendre des responsabilités que leur encadrement serait prêt à leur confier ? Comment comprendre, par exemple, que des salariés refusent de prendre en charge le choix et l’achat d’un nouveau matériel ou l’organisation d’un événement visant à regrouper leur équipe en séminaire, considérant soit que c’est à leur manager de le faire ou, au mieux, qu’ils ne peuvent le faire qu’avec leur manager ?

Il faut noter que ce type de constat n’est pas nouveau puisque les psychologues Richard Hackman et Edward Lawler, par exemple, avaient déjà observé, en 1971, que l’enrichissement des tâches par l’ajout de nouvelles responsabilités ne renforce pas nécessairement l’engagement et la satisfaction au travail chez tous les salariés [3].

En fait, la même théorie de l’autodétermination offre 3 réponses possibles à ce qui n’est probablement qu’une apparente contradiction :

  1. Les salariés qui se satisfont des choix faits par leur encadrement et de leurs directives peuvent être surtout motivés par des facteurs externes au travail lui-même, tels que le salaire, des primes ou l’approbation de leur responsable. Les autres salariés peuvent se satisfaire des décisions de leur encadrement, mais uniquement si elles leur permettent de mieux travailler ou de produire une meilleure qualité car ils sont avant tout motivés par le travail qu’ils font.
  2. Certains salariés peuvent être dans un environnement où leur autonomie est limitée, mais ils considèreraient leur structure de travail comme alignée avec leurs propres objectifs ou valeurs. Ils pourraient alors s’épanouir même en suivant des consignes, tant qu’elles ont un sens à leurs yeux.
  3. Certains salariés ressentiraient de l’anxiété en prenant des responsabilités et en devant faire des choix à enjeux. Pour eux, suivre les choix et directives de leur encadrement apporterait une sécurité psychologique.

Ces réponses démontrent que le fait de préférer suivre les directives de l’encadrement plutôt que faire des choix en ce qui concerne le travail… résulterait d’un choix des salariés concernés. Ce serait donc l’expression de leur autonomie, mais une autonomie motivée par d’autres leviers que celle qui anime les salariés qui ont prioritairement besoin de liberté dans leur travail pour se sentir efficaces, trouver du sens à leur travail ou s’épanouir.

Quelles implications ?

  1. Vouloir rendre tous les salariés de son entreprise individuellement responsables et autonomes serait illusoire et contre-productif.
  2. Pour développer la responsabilité et l’autonomie des salariés, il semble plus pertinent d’intervenir au niveau collectif plutôt qu’au niveau individuel. Avec cette approche qui conduit à développer des équipes responsabilisées ou autonomes, on compte sur le fait qu’une partie au moins de l’équipe soit motivée par cette perspective. Quant aux autres, ceux qui ne veulent pas nécessairement prendre de responsabilités, ils peuvent participer à la prise de décision animée par leurs co-équipiers, voire uniquement se ranger derrière leurs décisions.

Cette approche a toutefois plusieurs conditions majeures :

  • Au moins une partie de l’équipe doit être réellement motivée par la prise en charge de nouvelles responsabilités
  • Des relations de confiance doivent exister entre les membres de l’équipe et, notamment, entre ceux qui veulent prendre de nouvelles responsabilités et ceux qui ne le souhaitent pas vraiment
  • L’équipe doit avoir développé ou être en capacité de développer une bonne qualité d’échange
  • Elle doit enfin avoir confiance dans son encadrement, pour penser qu’il sera aisément accessible et disponible lorsqu’elle le jugera nécessaire et qu’il sera bienveillant si celle-ci prenait des décisions qui s’avéraient inadaptées ou erronées.

Après 5 ans à suivre ou accompagner une quinzaine d’équipes engagées dans ce type de démarche, je peux attester du fait que lorsque ces conditions sont vérifiées, les équipes concernées ne refusent pas de prendre à leur charge certaines missions. Par contre, quand la première condition n’est pas satisfaite, plutôt que de chercher à autonomiser une équipe, il est préférable pour l’encadrement d’adopter un management consultatif ou participatif. Et lorsque l’une ou plusieurs des 3 autres conditions ne sont pas satisfaites, il est préférable de chercher à les mettre en place avant de démarrer l’autonomisation d’une équipe.

En conclusion, la responsabilisation et l’autonomie représentent des perspectives intéressantes pour renforcer l’engagement au travail, lui redonner du sens et améliorer la satisfaction au travail… mais elles ne conviennent pas à tout le monde. Conserver une capacité d’adaptation des modes de management reste encore la meilleure option pour gérer efficacement des équipes et des salariés aux profils variés.

Références bibliographiques

[1] Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2000). Self-determination theory and the facilitation of intrinsic motivation, social development, and well-being. American Psychologist, 55, 68–78.

[2] Deci, E. L., & Ryan, R. M. (2008). Favoriser la motivation optimale et la santé mentale dans les divers milieux de vie. Psychologie Canadienne, 49(1), 24‑34. https://doi.org/10.1037/0708-5591.49.1.24

[3] Hackman, J. R., & Lawler, E. E. (1971). Employee reactions to job characteristics. Journal of Applied Psychology, 55(3), 259–286. https://doi.org/10.1037/h0031152

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